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Combo : le street-art contre l'intolérance


Un papa réfugié tenant sa petite fille dans les bras; à côté d'eux, en rouge et noir : "Je n'ai pas traversé la Méditerranée pour toucher le RSA". Deux hommes enlacés qui s'embrassent sur la bouche. Un porte la kippa, l'autre la barbe et la djellaba. L'inscription adjacente claque : "Love is blind, and religion can blind us". "No iman no cry", "À chaque jour suffit sa haine", "Pour vivre Hébreux vivons casher", "Si vos pêchés sont trop lourds prenez un Diable" : le street-artist Combo envoie du costaud, en cette période de prudence excessive, de paranoïa contreproductive post-Charlie.

Le beau gosse ironique, le républicain acharné, fils d'un père libanais chrétien et d'une mère marocaine musulmane, se met souvent lui-même en scène sur ses collages, vêtu du vêtement traditionnel maghrébin, visage découvert (contrairement aux trolls fascisants). Déconstruire les clichés, bombarder les idées préconçues, sortir chacun des cases, se moquer des extrémistes de tous poils; rappeler aux cons ce qu'est la France laïque : multiple mais une, ne leur en déplaise.

Le vivre-ensemble n'est pas négociable, les haines pas excusables et Combo se charge, via les murs de nos cités, de le rappeler aux bruyants réactionnaires actuels.

Ses collages sont familiers aux Parisiens attentifs. Pendant longtemps, collé à un angle de rue, se tenait un Mickey Mousse géant entièrement constitué de mini-photos (les expressions faciales seulement) issues de pornos américains. Les deux mastodontes mondiaux de l'entertainment (Disney et le X US), a priori antagonistes, se mêlaient, s'unifiaient physiquement comme pour mieux souligner la domination culturelle planétaire que chacun représentait. Le passant riait, souriait au moins, car le mélange visuel, inattendu, faisait aussi réfléchir à l'hypocrisie puritaine outre-Atlantique qui s'oublie si rapidement dès lors que le dieu Dollar est en jeu. La vieille souris est toujours exemplaire et patriote mais, les hardeurs rapportent pas mal aussi... Le rongeur obsédé a disparu depuis. C'est la règle du street-art : chaque œuvre est éphémère et sa durée de vie dépend des services de nettoyage municipaux.

Les ronchons peuvent s'en donner à cœur joie et enchaîner les reproches habituels : oui, les graffitis et le collage sont interdits sur les murs de la cité, sauf autorisation exceptionnelle; oui les amendes sont suffisamment sévères pour en dissuader plus d'un. Mais, peut-on objecter, nous ne sommes pas en Corée du Nord et le street-art est, comme son nom l'indique, devenu depuis longtemps un mode d'expression citadin, à la fois un peu voyou et rafraîchissant.

Les pochoirs de MissTic, les animaux apocalyptiques de Codex Urbanus, les masques-vigie de Gregos... Autant de créations temporaires mais puissantes qui, chacune à leur façon, décrivent des univers oniriques ou cauchemardesques, racontent des espoirs ou des déceptions, libèrent des cris à la fois intimes et communs.

Bref : ils dépeignent l'époque tout en revendiquant leur part de liberté.

Combo est particulièrement intéressant car son travail s'est progressivement axé sur le bien vivre-ensemble, sur la tolérance, les différences assumées mais égales (thèmes incendiaires s'il en est en ce moment). Voici quelques mois, il s'est fait roué de coups alors qu'il collait sur un mur de la capitale sa désormais célèbre reproduction du logo 'COEXIST' (créé par Piotr Mlodozeniec), formé du symbole de chacune des trois religions monothéistes. L'artiste s'était introduit en 2012 dans la zone interdite de Tchernobyl pour y coller, provocateur, des affiches pro-nucléaires; en 2013 il exposait des textes interdits par le régime communiste (Tian'anmen, le Tibet,...) dans les rues de Hong-Kong. En Israël, il a collé sans problème ses messages de paix ('Mohamed+Moshe' entouré d'un cœur). Mais, c'est dans le XVIIIe arrondissement de la capitale qu'il s'est fait tabassé par quatre jeunes excités en prônant un message d'unité. Mais, c'est dans le XIe, quelques semaines après seulement, que sa nouvelle fresque moquant la logique fasciste s'est faite, à peine fraîche, vandalisée par une excitée identitaire sans humour (pléonasme).

Alors, son Mickey-porn d'antan (bien innocent finalement), serait-il seulement encore exposable aujourd'hui dans la rue sans déclencher de bruyants rappels à l'ordre moral (de quel siècle ?) et de pétitions bénis-oui-oui de tous horizons ? On peut se le demander. Réaliser l'agressivité que le questionnement artistique - car, c'est de cela dont il s'agit - réveille dorénavant, en 2015 (comment ne pas penser aussi au vandalisme antisémite dans les jardins de Versailles ?) Et enrager du retour de l'obscurantisme religieux et identitaire.

Enrager et non trembler, car fidèles à leur culture de l'intimidation, c'est bien ce qu'espèrent les intégristes de toutes chapelles. Ne nous taisons pas !

Écrivons, dessinons, chantons, manifestons, rappelons, chacun avec nos armes, ce qu'est la République, la Babel tricolore ouverte, intelligente et curieuse que nous voulons, comme Combo le fait lui avec espièglerie et intelligence, sur les murs de la cité ! D'ailleurs, son nom d'artiste complet est Combo Culture Kidnapper. Si par 'culture' il entend 'reproduire l'air du temps', encore une fois il se montre fort pertinent.

Car, quelle plus grande urgence aujourd'hui que de réapprendre à coexister ? Faudra-t-il bientôt sortir en armure pour qui veut dire la tolérance ?

- Publié sur Médiapart -

-Frédéric L’Helgoualch est l’auteur de ‘Deci-Delà (puisque rien ne se passe comme prévu)’ aux ed. du Net

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