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La France réac : le terreau putride


Ahmed Hassan avait 15 ans. Sa famille avait fui la misère en Somalie en 2012 et était venue s'installer en Suède dans l'espoir de lui offrir une vie meilleure. Ahmed vient de mourir. Dans son école, lieu d'espérance et d'égalité pouvait-on encore espérer. Il est tombé sous les coups de sabre d'un extrémiste raciste, fou furieux qui a choisi ses victimes selon leur appartenance ethnique. Ahmed avait la peau noire : cela a suffi à le condamner. À Cologne, la nouvelle maire a été poignardée pendant la campagne par un ancien néo-nazi. Sa faute ? Avoir pris position pour l'accueil des réfugiés en Allemagne. Elle a heureusement survécu et récupère ses forces (qui lui seront bien utiles).

Deux drames, la même impulsion haineuse qui fait se dresser certains bras.

La même ambiance d'intolérance, de peur, de rejet, de fantasmes qui gagne toute l'Europe, se répand comme une peste brune et pousse les esprits insanes au passage à l'acte. Car si tout délire a sa propre logique, l'atmosphère malsaine du moment ne peut qu'encourager certains à s'y conforter.

Ici en France, certains politiciens de la droite républicaine (jusqu'alors), obnubilés par leur carrière personnelle plutôt que par l'unité nationale, aiment à lancer 'du gros rouge qui tâche', comme ils disent en se poilant, dans leurs discours populistes et démagos. Mr Sarkozy, par exemple, et sa sortie sur le droit du sol ou sur les gouttes d'eau. Mme Morano et son ignorance crasse de la biologie humaine. La chasse aux électeurs FN (qu'il ne faut plus 'culpabiliser' paraît-il. On voit le résultat : Mme le Pen va sans doute remporter la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, sa nièce peut-être la région PACA et l'héritière de Montretout caracole toujours plus haut dans les sondages d'opinion) les déresponsabilisent totalement; les décrédibilisent définitivement. Car du 'gros rouge' verbal on peut vite passer au rouge sur les murs.

Brahim Bouarram en 1995 : n'oublions jamais.

Entendons-nous bien : aucune intention ici de relier directement le drame de Trollhätten et celui de Cologne aux carriéristes cités.

Directement, non. Un esprit malade reste un esprit malade.

Mais je voudrais rappeler tout de même à cette partie de la droite (une partie seulement mais de plus en plus influente) qui se déplace toujours plus à l'est de l'échiquier que les mots comptent. Les mots pèsent. Les mots ont un sens. S'ils ne le comprennent plus : qu'ils se retirent, qu'ils partent gagner fortune dans le privé, nourrir leur ego boursouflé et cessent ainsi de respectabiliser le FN (qui, comme le rappelle l'excellent film 'Un Français' qui vient de sortir en DVD n'hésitait pas à sa création - encore ? - à piocher ses cadres dans les groupuscules identitaires) à force de le copier.

'Décomplexer le langage' disait - encore - Mr Sarkozy en promettant le Karcher à la 'racaille' de banlieue. Il a été entendu : les réseaux sociaux, Twitter et son anonymat en particulier, sont saturés de trolls racistes, antisémites, homophobes.

Depuis la Manif pour Tous et l'assurance retrouvée de la France réactionnaire (on peut objectivement je crois situer le tournant idéologique, général, à ce moment-là), la bêtise et l'ignorance, l'apologie du repli sur soi et la recherche des bouc-émissaires gagnent imperturbablement en force.

Résultats concrets : les actes anti-musulmans, antisémites, homophobes et le racisme quotidien explosent !

Beau résultat que de 'décomplexer' la sottise plutôt que de la combattre ! Car les drames de demain, ils en seront tous comptables. La gauche au pouvoir inclue, elle qui afflige ses électeurs à force d'immobilisme, de renoncement, et promet un taux d'abstention record aux prochaines élections (favorisant de fait : les forces réactionnaires). Abandon d'un pouvoir qui semble gérer plutôt que gouverner. Gérer le libéralisme sans même plus le critiquer, avec tout ce que cela suppose au niveau des inégalités (et donc de l'aigreur et de la colère qui montent). Charlie Hebdo paraît loin. La laïcité, la République, qui devraient systématiquement guider chaque décision gouvernementale en ces temps troubles, ne sont plus que des mots plats balancés de temps à autre. Alors qu'ils sont LA solution du vivre-ensemble, de l'apaisement du pays. La seule !

Marine le Pen, cynique jusqu'au bout, a beau jeu de les utiliser sans vergogne désormais : puisque les autres les lui laissent (le Front de gauche résiste encore mais peine à capitaliser) ! Mais si son discours est lissé, il suffit de lire les commentaires de ses affidés sur les réseaux, de regarder les dérapages de ses candidats, de lire les articles relayés par les sites qui la soutiennent : une banane promise à Mme Taubira, théorie du 'grand remplacement', diabolisation des réfugiés fuyant la guerre grimés en envahisseurs, travestissement grossier des faits pour entretenir le fonds de commerce, fantasme sur une théorie du genre prônée par l'Education Nationale il y a plusieurs mois, etc, etc... Bref la peur, l'autre, le bouc-émissaire, la falsification au service de ses intérêts : bien loin de l'idée de la République et du bien commun.

Où allons-nous avec une telle classe politique dévastée, une telle montée de la colère, de la peur et de l'intolérance ? Je n'en sais rien. Mais je ne compte pas rester les bras croisés observer mon pays sombrer dans la lie. Ce billet réveillera peut-être au moins une personne. Peut-être. À chacun d'entre nous, citoyens républicains, de dire à sa façon : stop ! Une chose est sûre en tout cas : jamais je ne veux voir un gamin se faire massacrer ici à cause de la couleur de sa peau. Jamais je ne veux voir ici les fruits bruns qui germent toujours, immanquablement, du terreau putride de la haine.

- Publié sur Médiapart -

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(fresque street-art de Combo)

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