Bieber, Sarko Jr, Hanouna : les jeux du cirque
Personnellement, je n'ai rien contre Justin Bieber. Un gosse qui savait fredonner à peu près convenablement au berceau, jeté fissa dans la fosse aux lions du showbiz US par des parents 'attentionnés' : ça marche, ça cartonne, très bien ! Les pré-ados ne sont pas exigeants, l'important à cet âge est l'identification et le fantasme facile alors, grand bien leur fasse tant que les mélodies de l'ado canadien n'atteignent pas mes esgourdes !
Grand malheur : le marmot a grandi, la presse a changé.
Biberonné aux millions de dollars et aux 'bielebers' survoltées, l'aura médiatique du blondinet dépasse à présent les pages des magazines spécialisés (sa marionnette aux Guignols de l'Info est même prête). Au point, hier matin, de retrouver son nom à la une de la plupart des grands quotidiens du web. Une reprise de Brel en anglais, un album soudain bon, un soutien public à une asso humanitaire ?
Que nenni : le gonze a terminé sa puberté et tient à le faire savoir. Photos, gros titres, hashtags : malaise.
Lenny Kravitz craque son pantalon de cuir moulant en plein concert : je ris de bon cœur. Le gazier n'est pas un bleu et a toujours joué de son image très sexuée. Un post-ado mégalo en pleine ébullition hormonale se balade attributs à l'air, se sachant cerné de paparazzis : mouvement de recul.
Le buzz est éclair, Twitter s'enflamme; jeux de mots, photos non-censurées, libidos cachées en feu...
Le même jour - hier, donc - une interview en ligne de Louis Sarkozy sur le site de Paris Match. Le jeune homme de 18 ans n'a encore rien fait de majeur dans la société mais il a l'honneur d'une interview car : il a un père. Après des tweets hasardeux et emplis de fautes d'orthographe sur son mépris pour la France, son amour de l'armée américaine et autres querelles idiotes avec le fils Trierweiler (qui n'a pas plus de légitimité à attirer l'intérêt public), il peut donc enfin expliquer plus longuement sa vision du monde. Que dit-il ? Des imbécilités, bien sûr. Des imbécilités de son âge.
Armes à feu, auto-défense, confusion entre libéralisme et liberté : du Donald Trump sans Trump. Des conneries de gamin éduqué aux États-Unis, qui veut entrer dans l'armée, se la joue G.I Joe.
Entendons-nous : j'ai l'air de me moquer (c'est vrai. Mais plus dans le but 'message aux parents concernés : surveillez donc votre marmaille ! Les jeux médiatiques sont cruels !'), en vrai, je suis scandalisé.
Par la presse qui sait ce qu'elle va trouver en l'interrogeant. Par la légitimité que cette interview confère à ce ‘fils de’ dans une société (très) théoriquement méritocratique. Par la hargne des twittos anonymes planqués derrière leurs pseudos prétentieux à charger ce gamin par définition encore fragile. Mr Nicolas Sarkozy ? Je suis le premier à charger son bilan ; le premier à tout faire pour empêcher son retour.
Mais, de quel droit utiliser aussi lâchement son fils immature en organisant – disons-le - un dîner de con médiatique ?
Qu'il évolue, fasse sa vie loin des lumières qu'il n'a aucune raison d'attirer, ses expériences, prenne le temps de se forger sa propre opinion de la vie. Les traces sur le net, à notre époque, sont des cicatrices indélébiles. N'oublions pas l'âge des proies 2.0 du jour, bordel!
Avons-nous tous perdu le sens commun ?
L'attrait, et des médias, et des gens pour ces deux post-ados (qui, à cet âge, n'a pas voulu jouer au caïd d'une façon ou d'une autre ?) m'a semblé hier d'une insanité totale. Et révélatrice. Nous, nous en rions, de nos souvenirs ridicules de jeunesse. Eux, ils se les reprendront dans la face à vie désormais. Certes, qui de l'œuf ou de la poule ? Débat insoluble.
Il n'empêche que la facilité des réseaux sociaux à passer d'un hashtag léger (sauf pour les concernés) à un autre dramatique (la Syrie par exemple) interroge forcément sur notre sens des priorités, sur notre vision de l'information.
Sur nos engagements réels. Sur l'anonymat malsain de Twitter, qui autorise tout et même plus, sans conséquence. Qui célèbre le néant, ignore l'important. Égalise tout, se dédouane par ses re-tweets engagés, de temps en temps, entre deux imbécilités.
" Il faut bien se détendre ", disent certains.
Se détendre de quoi ? On ne manifeste plus guère aujourd'hui; on tweete.
Ça gazouille, ça soulage. Ça donne bonne conscience, ça ne bouge pas grand chose (rien ?) Ça occupe. Ça effraye.
De là à y voir un but caché, il n'y a qu'un pas.
Avant-hier, Cyril Hanouna a hypnotisé ses ânes. Ou ses chroniqueurs, plutôt. Avec un âne. Il a eu X articles suite à cette émission. Cela intéresse les gens, paraît.
Mr Bolloré a offert un pont d'or au nouveau génie du temps. Bon, faut s'adapter je suppose.
Et hier, donc, c'était la grande journée médiatique de Justin Bieber et de Sarko Junior.
Aujourd'hui, peut-être, Kim Kardashian ou Baptiste Giabiconi aura changé de coiffure.
Ou bien une sortie de crise au Yémen aura-t-elle été trouvée. Peut-être. C'est un peu pareil tout ça, depuis derrière son ordinateur.
Et après-demain ? Bof, on verra bien. Marine le Pen au pouvoir, Rihanna en string... Du moment qu'on peut y coller un hashtag.
Frédéric L'Helgoualch est l'auteur de 'Deci-Delà (puisque rien ne de passe comme prévu)'
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