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Fondation Louis Vuitton un an après : pari gagné


L'art contemporain est souvent perçu comme élitiste et peu accessible (voire agressif par certains, nous l'avons hélas vu récemment). Reconnaissons que certains artistes entretiennent ce cliché. Deux objets du quotidien au centre d'un cercle, un nom pompeux à l'ensemble et hop, bonne analyse sauvage m'sieurs-dames ! Mais pour quelques fumistes surévalués, quel dommage de passer à côté de tant d'artistes talentueux (parfois visionnaires).

La fondation Louis Vuitton, inaugurée en grandes pompes voici presque un an, voulue et portée par l'homme d'affaires Bernard Arnault, est l'un de ces nouveaux musées français dédiés à la vulgarisation de l'art contemporain. Et quel musée ! Immense œuf de bois, de verre et d'acier sous un certain angle (un œuf plein de vies) ou proue gigantesque d'un bateau conquérant sous un autre (avec à son bord une armée d'élite), le bâtiment imaginé par l'architecte américain super-star Franck Gehry impressionne.

Trop, ont argumenté certains à l'ouverture.

Maîtresse excentrique du roi du luxe, ont sifflé d'autres.

Il est donc peut-être temps, une année après les polémiques, d'y retourner avec un œil apaisé.

Oui, le bâtiment éblouit. Mais, pourquoi pleurer face à l'excellence ? Le dernier-né du créateur du musée Guggenheim à Bilbao n'a-t-il pas été bâti sur des fonds privés ? Alors pourquoi gâcher son plaisir ?

Posé au cœur du Bois de Boulogne, les tours modernes de la Défense d'un côté, le vieux Paname de l'autre, à deux pas du jardin d'acclimatation : l'ouvrage s'intègre parfaitement dans le décor boisé. Il en impose mais ne doit pas intimider les néophytes, bien au contraire. Le billet est au prix normal d'une entrée parisienne, le personnel est souriant et serviable (un détail mais, tant de galeristes hautains dans la cité, dès lors que l'on n'est pas un acheteur potentiel identifié; tant d'employés satisfaits dans beaucoup de musées publiques).

Les œuvres - autre reproche fait à l'ouverture - ne sont pas extrêmement nombreuses par rapport à l'espace disponible. Mais, justement : elles profitent toutes de la place offerte pour mieux interpeller le spectateur (ce qui est bien le but de l'art, non ?) Au lieu de bombarder sur le mode industriel dans le but d'habiller son Facebook, chacun peut ici prendre le temps d'observer vraiment, d'être choqué ou ému. Le triptyque monumental de Gilbert et George, composé de trois immenses photographies ('Class War', 'Militant', 'Gateway') interroge par exemple la place de la jeunesse (et sans doute de l'homosexualité) dans la société, sur deux pans de murs. Les artistes portoricains Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla jouent avec les codes des comic books, leur Captain America se mêlant aux GI's américains pour mieux questionner le patriotisme échevelé et le nouveau colonialisme. Dans l'obscurité totale, dans une salle entièrement dédiée à l'installation de Christian Marclay ('Crossfire'), le visiteur se retrouve pris littéralement entre quatre feux. Sur chaque mur, des vidéos de fusillades sorties de films célèbres ('Nikita', 'Rambo',...), le son des flingues devenant une symphonie oppressante, menaçante. Comment, bien entendu, ne pas songer à l'actualité américaine ? On se touche le buffet en sortant, pour vérifier qu'une balle perdue... Andy Warhol est là aussi, avec ses portraits d'une faune new-yorkaise disparue, faussement futile. L'éternel prince du street-art Basquiat et ses patchworks colorés et parfois violents, à l'image de la rue. Beaucoup d'installations vidéos et sonores d'artistes ne demandant qu'à être connus du grand public, interrogeant notre rapport au quotidien, au consumérisme. À la difficulté du lien, intime et global.

De grandes terrasses inondées de lumière et de bancs, pour encourager la détente et la réflexion entre chaque niveau parcouru. Au dernier étage, une sorte de vaisseau posé là, comme atterri par hasard, fait de végétaux, de roches et même de baskets perdues ('Where the slaves live', d'Adrian Villar Rojas). Comprendre n'est pas le but. Ressentir l'étrangeté, l'identifier, est déjà un beau réveil des sens et de l'esprit critique.

Fort de ces constituants distincts et atypiques que sont les travaux des artistes, de ses bases architecturales à la fois puissantes et oniriques, le bâtiment lui-même est une œuvre d'art contemporaine. Il invite étonnamment à la zénitude, alors que les œuvres présentées nous parlent majoritairement des turpitudes de la société actuelle et que ses matériaux auraient pu le rendre froid.

Pari gagné, a-t-on donc envie de dire.

On attend avec impatience les expositions tournantes et on se met à imaginer le résultat qu'un tel écrin produirait (et inversement) sur les travaux d'une Sophie Calle, d'un Erwann Tirilly ou d'une Mona Hatoum, par exemple.

Bref, n'hésitez pas à découvrir ce fier vaisseau contemporain de la connaissance et de l'introspection (deux valeurs conseillées en ces temps troubles). Le 'LV' un peu trop voyant de l'entrée, qui pourrait faire penser à l'enseigne clinquante d'un groupe bling-bling, disparaît vite de notre esprit - après un tic nerveux de départ - devant la qualité évidente et du lieu, et des artistes représentés.

Appropriez-vous le : l'art ne doit pas rester le domaine réservé de quelques-uns. Il serait bien dommage de se contenter, une fois l'an, d'une Nuit Blanche noire de monde et souvent décevante alors qu'au Bois de Boulogne, un tel écrin abordable s'offre à votre curiosité toute l'année.

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