'Drink a lol' : une bd à lire cul-sec
- Publication sur le Huffington post : http://m.huffpost.com/fr/entry/7891260 -
Il semble arrimé ad vitam aeternam à son verre de martini à moitié vide (à demi-plein ?); même sa fine moustache statique est exaspérante et donne l'impression de se fiche de vous. L'imaginer un jour sourire ou se montrer urbain révèlerait un optimisme fou, voire une indigence intellectuelle sévère chez qui y songerait. Le gazier est d'un cynisme sans égal, d'une repartie redoutable (- Tu pourrais faire un effort pour être un peu plus aimable. Réponse : - Tu pourrais faire un effort pour être un peu moins con - Blanc gêné), bref : un pince-sans rire tellement British qu'il ferait passer Lilibeth the Second pour une fanfaronne d'estrade.
'Drink a lol' est une série comic strip née sur le web en 2011 et qui a su gagner ses fidèles via un blog d'abord puis, les réseaux sociaux habituels (Facebook, Twitter). Sous le stylo et la plume de ses géniteurs diaboliques, Thom J. Tailor (psychologue de formation. Tiens...) et Ooka, confortés par les rangs grandissants de rieurs 2.0 accrocs à ses saillies cruelles mais irrésistibles, l'alcoolique vachard répand désormais ses saillies dévastatrices dans un album de grande qualité : 'Imbuvable', chez Marabulles (des éditions Marabout).
Généralement accoudé au comptoir d'un zinc ou dos raide en plein cocktail tendance bobo (parfois dans un bar de plage VIP d'où, au loin, on aperçoit des avions s'écraser) fixant, mi-blasé mi-gourmand, sa prochaine victime, le personnage principal en costard déglingue en trois cases et quelques mots notre verbiage hypocrite, nos phrases toutes-faites de circonstance. Drôle, oui, mais surtout incroyablement rafraîchissant !
Canonne... ! Qui, déjà ? Il n'a pas de nom en fait mais, est unique et se visualise de suite pour qui a déjà aperçu passer un de ses scuds à grande vitesse. Parfois, surréaliste (mais, nos échanges quotidiens ne le sont-ils pas aussi, en un sens, à force de masques superposés tout le jour ?), il tchatche avec ses seuls vrais potes : un dinosaure apprivoisé (notre imaginaire ?) et - tant qu'à faire - la Mort elle-même (notre obsession ?) qui s'avère d'ailleurs plus funky que prévu. Eux, au moins, ne manquent pas de mordant, le comprennent, vont droit au but et ne le saoulent pas (ça, il s'en charge seul, verre à pied en main) avec leur logorrhée sociale, répétitive, creuse, faussement compassionnelle et intéressée. L'auto-centré n'est pas celui qu'on croit; le plus cynique n'est pas celui qu'on imagine.
La raison du succès de ce dandy transgressif mais jamais gratuitement méchant (ses interlocuteurs se ridiculisent d'eux-mêmes et offrent le flanc en abusant des faux sentiments et des pensées de pacotille) ? À l'époque des hashtags twitteriens, des likes ou des absences de partages facebookiens en guise de conversation avec ses meilleurs 'amis', la réponse paraît évidente : tout le monde sait que lorsqu'il aura besoin d'un coup de main concret pour son déménagement, un dino musclé et une grande capée baraquée seront bien plus efficaces que des flopées de beaux parleurs virtuels ! Ainsi va l'époque, les gens; ce qui est triste mais, autant le savoir et faire avec, quitte à paraître 'Imbuvable' à certains. Mieux vaut trinquer en rigolant, tourner en dérision cet assassinat journalier de la sincérité (a-t-elle jamais existé, d'ailleurs ?), en lançant un grand 'LOL' ! Désabusé, certes, mais encore spirituel.
Une excellente BD. À consommer sans modération !
'Imbuvable', Thom J. Tailor & Ookah, collection Marabout, 160 pages, 17E95
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