Grèce : la belle Europe assassinée
Comment ne pas songer à l'allégorie de la caverne platonicienne en observant la tragédie grecque ? Enchaînés dans une caverne, des hommes ne prennent pour réalité que les ombres et les échos. Qu'un seul se libère et gagne la lumière et les autres, incapables de concevoir ce qu'il leur raconte, de le rejeter à son retour, voire de le tuer, ce 'charlatan' (pour reprendre la Une hystérique du Point).
Le plan de réformes proposé par les Grecs sera-t-il accepté par l'Eurogroupe, par l'inflexible grand argentier allemand (soit, de fait, le grand chambellan de l'UE), Mr Schäuble ? Selon plusieurs fuites, nous nous dirigeons plutôt vers un 'Grexit temporaire de 5 ans' (que ces choses-là sont joliment dites) avec, éventuellement, une 'aide humanitaire d'urgence' concédée au cancre jeté dehors. " Prends la piécette pour ma bonne conscience et va dépérir plus loin ! " Pour l'esprit européen de solidarité, de soutien réciproque et d'égalité, on repassera ! Au mieux, un accord sera arraché pour son maintien mais, à quel prix toujours plus élevé ?
Mais, comme Mr Tsipras l'a déclaré dans son discours devant le parlement hellène le 10 juillet :
- " Tôt ou tard, cette graine de la dignité et de la démocratie, que nous avons plantée, portera ses fruits et servira d'autres européens. "
Car, conséquence inattendue et heureuse du drame actuel (il s'agit bien d'un drame : pour les Grecs, pour l'Europe et pour la démocratie), jamais les opinions publiques du continent ne se sont intéressées à ce point au débat européen et aux travaux de son parlement. Une sorte de réveil - brutal - pour beaucoup de consciences endormies jusqu'alors, qui, lorsqu'elles s'intéressaient à la politique, se cantonnaient à la D2, aux jeux politiciens de plus en plus médiocres de nos leaders nationaux.
Le pouvoir, le vrai, s'est déplacé (ceci expliquant l'impression désespérante de n'avoir plus affaire qu'à des gestionnaires en France, plutôt qu'à des visionnaires); les yeux se tournent enfin vers Bruxelles, Berlin et ses illustres mais néanmoins puissants inconnus. Vers Washington et le FMI aussi, d'où la vestale gardienne du dogme libéral Mme Lagarde admoneste et traite "d'enfants" des dirigeants démocratiquement élus (des valeurs en pleine dé-monétarisation, a priori), dès lors qu'ils ont l'outrecuidance de rappeler leur légitimité et la souveraineté de leur pays.
Souveraineté toute relative, il est vrai, depuis la mise sous surveillance (tutelle ?) du pays par la Troïka, et même avant : du transfert de ladite souveraineté à l'UE, celle de la Grèce comme celle de tous les pays qui la composent, dont la France.
Un réveil, donc, de beaucoup de consciences et un choc devant les réactions outrancières (voire diffamatoires, certains n'hésitant pas à comparer Syriza au parti néo-nazi Aube Dorée) des élites et d'une grande partie de la presse hexagonale. Et les plumes les plus reconnues de la place de Paris, déchaînées comme des Minotaures, d'éructer sur ce tonneau des Danaïdes, sur la corruption endémique, sur l'incapacité de l'état grec à lever convenablement l'impôt, sur ses comptes truqués (qui ont bien enrichi tout de même Goldman Sachs et les prêteurs privés européens et révélé la cécité sur commande, selon les circonstances, de l'Union), etc... Comme si Mr Tsipras, au pouvoir depuis 6 mois, devait subito endosser la responsabilité de décennies de réelle mauvaise gestion et supporter, en plus, tous les noms d'oiseaux de la terre car estampillé 'gauche radicale' (Vade Retro !)
Le sommet du déchaînement démagogique fut atteint lors du référendum du 5 juillet qui a pourtant, ce jour-là, rendu sa dignité au peuple hellène et ses lettres de noblesse à la politique : " scandaleux ", " populiste ", " manigances ", " irresponsable "...
Diantre, de la gauche à la droite de notre échiquier, que d'inquiètes et inquiétantes réactions face à un courageux exercice démocratique !
Il est vrai que nous, ici, le dernier portait sur le traité de Lisbonne : massivement rejeté par la grande porte par le peuple français, revenu de force par la fenêtre... Pourquoi tu tousses, François ?
À se demander, finalement, si UE et démocratie font vraiment bon ménage. Les peuples, ces enfants un peu débiles...
Ne reculant devant aucune ficelle populiste, ivres de leur pouvoir d'influence (fragile, pourtant; fragile), certains de comparer la dette d'un particulier à celle d'un état considéré immortel et donc toujours fiable potentiellement. À défaut de justifier leur panique face à la situation difficile de la Grèce et à l'arrivée de Syriza, d'expliquer que les injections massives d'argent faites par l'UE n'ont servi jusqu'ici ni à participer aux réformes de structure de l'état grec, ni à aider le peuple mais juste à soutenir les prêteurs européens (et à creuser encore artificiellement la dette), le ridicule et le populisme en guise d'arguments.
Les mêmes sont beaucoup moins diserts lorsqu'il s'agit de rappeler que la crise européenne est principalement due à l'Allemagne, dont la réunification a été payée cash par... tous les autres états européens, comme le rappelle judicieusement la journaliste Coralie Delaume. Embêtant, lorsqu'on se veut l'intraitable Pythie du dogme de l'équilibre budgétaire et de l'austérité imposée à tous (par quel mandat tant de pouvoirs ?)...
Comme le rappelait le directeur de Médiapart (qui a entre autre révélé les pressions proches du chantage et dignes d'un film sur la Mafia au sein de l'Eurogroupe ) :
- "En sacralisant une monnaie, on utilise la monnaie comme 1 levier technocratique pour désormais empêcher des alternatives ." Et, affaiblir voire étouffer la démocratie, pourrait-on conclure.
Nous en sommes donc là : l'incertitude concernant la Grèce (au 'mieux', un accord mais plus d'état) et l'impression de plus en plus claire d'un autoritarisme silencieux qui s'installe, avec la bénédiction incompréhensible de certains leaders et intellectuels. Point de théorie complotiste dans mon propos; la certitude d'avoir raison, l'absence totale de doutes dans leur doxa libérale est, à mon avis, la seule raison à leur dangereux aveuglement.
Nous nous éloignons donc à grands pas de l'idée européenne qu'on nous avait vendu.
Le fédéralisme, qui est l'environnement naturel de l'Allemagne, et l'abandon de nos souverainetés (ouh ! Le gros mot ! Mais, il ne s'agit ni plus ni moins que la capacité à se gouverner et décider encore) à une Union Européenne - à ne pas confondre avec l'Europe, qui doit son nom d'ailleurs à la mythologie grecque - pensée dès le départ pour affaiblir le politique : autant d'éléments qui font craindre une simple satellisation de nos vieux pays anciennement indépendants autour d'une étoile nommée Allemagne.
Désolé mais, moi, en tant que citoyen, je n'ai jamais signé pour ça.
Les clivages franco-français et partisans habituels sont désormais dépassés. À part l'extrême-droite qui tente de récupérer Syriza pour alimenter ses thèses nationalistes, tous les éclaireurs en cette caverne obscure sont indispensables au débat : du Front de Gauche, des écologistes qui se battent au Parlement européen à l'aile gauche du PS (l'autre aile semble se satisfaire de la situation) qui donne de la voix autant que faire se peut en passant par des personnalités de droite comme Dominique de Villepin qui tire la sonnette d'alarme sur une sortie de la Grèce. Le pape François, même lui (peu soupçonnable de gauchisme révolutionnaire), fustige le dogme de l'austérité, qu'il compare à " un nouveau colonialisme ultra-libéral " !
Car, pour ceux qui n'ont pas encore saisi, le peuple grec ne réclame pas une sortie de l'Europe mais, de l'austérité. Ceux qui la réclament sont à Berlin mais, personnellement, je ne reconnais aucune impératrice auto-proclamée ni grand chambellan qui ne manœuvrent que pour leurs besoins intérieurs. Car, sans vouloir jouer les Cassandre, l'idée européenne ainsi dévoyée ne peut nous mener tous qu'à renforcer nos chaînes dans cette inquiétante caverne. On ne réformera jamais rien ni ne parviendra à créer une vraie Europe des peuples, la seule valable, si nous gardons volontairement nos yeux fermés.
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