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"Un Français" : un film mémo indispensable sur l'extrême-droite


Alors que l'incontrôlable Jean-Marie le Pen (et ses outrances devenues par trop explicites quant au logiciel inhérent au parti qu'il a créé) est poussé vers la sortie par son héritière sur des airs de crise œdipienne publique et de ripolinage grossier, le film 'Un Français', seconde œuvre du réalisateur Diastème, est sorti sur les écrans le 10 juin.

Le synopsis ? Le parcours et l'évolution d'un skinhead parisien, de la période couvrant les années Mitterrand et SOS-Racisme à la Manif pour Tous.

Paumé venant d'une famille que l'on devine disfonctionnelle, d'un milieu social défavorisé qui invitent l'aigreur et la colère (ce qui ne justifie rien bien sûr mais, est une donnée importante pour qui veut saisir le besoin permanent de trouver des boucs-émissaires à leur mal-être qu'ont les extrémistes), le personnage principal est interprété par Alban Lenoir. L'acteur est époustouflant dans le rôle du pit-bull blessé, prêt à actionner ses mâchoires impitoyables et ses muscles constamment tendus dès la première contrariété, dès la rencontre concrète avec ses obsessions. En l'occurrence : les Arabes, les Noirs, les Juifs, les homos, les 'gauchos'.

Mouvement apolitique au départ, né en Grande-Bretagne, ses membres se radicalisent en réaction au mouvement punk, à partir de 1977, et sont largement récupérés par le parti anglais raciste National Front (ça ne s'invente pas), qui recrute également parmi les fameux hooligans de Sa Gracieuse Majesté. La traversée de la Manche se fait à partir de 1979. Le liant principal est leur musique, dérivée du punk, le "oï" ("Hey, you !") et l'absence totale de boussole existentielle dans une société en mutation. La politisation en France se réalise à partir de 1984. Le groupe 'Légion 88' (8ème lettre de l'alphabet, en double, pour 'Heil Hitler !') a pour objectif avoué d'ancrer définitivement les skins à l'extrême-droite tricolore avec des textes négationnistes, des appels à la haine et à la violence anti-immigrés. La 'Marche des Beurs' (marches anti-racistes du 15 octobre au 03 décembre 83), et la création de SOS-Racisme (84) accentuent les certitudes de ces jeunes prolétaires paumés qui ne trouvent pas leur place, sinon dans de tels groupes mêlant folklore nazi, appel mystique à la force virile et guerrière de l'homme blanc et sentiment d'appartenir enfin à une communauté identifiée. La société dans son ensemble comprend que les populations maghrébines et nord-africaines (ses anciens colonisés) vont rester durablement en France, qu'il va falloir les intégrer après s'en être servis, tout ceci dans un contexte de crise économique. Les tensions et le rejet s'accentuent à divers degrés. Les skins deviennent le maillon extrême et violent de cette chaîne réactionnelle.

Au sein, successivement ou parallèlement, de groupuscules comme le Front National de la Jeunesse (encore assez confidentiel), du néo-nazi Totenkopf, du néo-fasciste Troisième Voie, le courant skin est instable, mal à l'aise de par son essence indisciplinée (des chiens fous sans colliers, même réunis...) dans des structures organisées. L'apologie du désordre, du racisme, de l'auto-marginalisation comme matrice, les drames ne manquent bien sûr pas de se produire. Ratonnades (Argelès-sur-mer...), terreur gratuite dans les rues, meurtre de Brahim Bouarram à la fin du défilé frontiste du 1er mai 1995 (qualifié d'"accident" par Jean-Marie Le Pen), etc...

Le film de Diastème "Un Français" a l'intelligence d'évoquer l'évolution de cette mouvance et son utilisation - plus ou moins discrète - par le Front National naissant en suivant un groupe d'amis skins, Braguette, Grand-Guy, Marvin, Marco.

Le leader haineux et ambitieux (inquiétant Samuel Jouy) qui devient candidat FN et utilise toujours ses bad boys en guise de service de sécurité. La brute raciste indécrottable (Paul Hamy), qui assassine un homme pour 's'amuser', juste car celui-ci n'a pas selon lui la bonne couleur de peau. Le gamin accroc aux drogues (Olivier Chenille). La bourgeoise biberonnée au pétainisme et à l'Algérie française, en quête d'adrénaline (Lucie Debay) et qui se retrouve des années plus tard dans les rangs de la Manif pour Tous, bien mise, au nom de ses 'valeurs éternelles'.

Marco, quant à lui, le personnage interprété par Alban Lenoir, cherche à échapper à ce milieu extrémiste et archi-violent (tant au niveau physique que des idées), lassé par la bêtise et la haine.

Le scénario n'est pas caricatural (le danger du sujet), les acteurs sont époustouflants, la description du temps qui passe presque poétique et, même si l'allusion à "American History X" est évidente, le film a pour vertu unique de re-situer l'histoire de ce mouvement international en France, de sa proximité passée au moins (les skins du moment sont désormais interdits de défilé annuel du 1er mai par le FN et beaucoup se sont rapprochés d'Alain Soral et de ses théories antisémites ou des Identitaires) avec une extrême-droite politique désormais en quête de dé-diabolisation médiatique après avoir, pourtant, puisé dans les rangs de tels mouvements pour se trouver des cadres...

Alors que Mme Le Pen ne jure plus que par la République et ses valeurs (pourquoi, pourrait-on lui demander, ne pas avoir alors créé un nouveau parti au lieu d'accepter les lourds bagages que porte le sien ?), alors que Mr Le Pen a évoqué, il y a quelques semaines, dans 'Rivarol', les lubies communes qu'il a encore avec cette mouvance, ce film apporte un éclairage important avec la mutation actuelle qui n'enlève rien - au contraire ! - à son histoire.

Après une polémique quant aux supposés refus de plusieurs exploitants de salles craignant les réactions, après des échanges violents sur les réseaux sociaux, le film est sorti dans un nombre assez limité de salles. Il y est encore dans certaines.

Aucune hésitation : courez-y ou louez-le dès sa sortie dvd, il est d'utilité publique alors que l'intolérance, les craintes et mystifications regagnent du terrain; alors que la droite traditionnelle emprunte ses thèmes à l'extrême-droite. Car, l'ignorance, l'inculture et l'aveuglement restent et demeurent les mères des prochains drames. La France mérite mieux. Un Français espère plus.

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