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'L'Arabe du Futur 2' : histoire d'une double richesse


Riad Sattouf revient avec le tome 2 de son 'Arabe du futur', histoire en cases de sa jeunesse au Moyen-Orient, après avoir obtenu le grand prix de la bande-dessinée d'Angoulême en début d'année avec le tome 1. Bonne nouvelle : il est du même acabit !

Le petit garçon rêveur aux boucles d'or (l'auteur) vit toujours dans une Syrie emplie de portraits géants d'Hafez Al-Assad (père de l'actuel président), avec son petit frère brun et ses parents. Il se réconforte toujours aussi facilement auprès de sa belle maman blonde, Bretonne amoureuse suivant son idéaliste de mari Syrien et qui dissimule toujours aussi bien ses désillusions, comme souvent les mamans. Il admire toujours autant son papa fantasque qui reste, lui, plus persuadé que jamais de la victoire proche du panarabisme (ce mouvement politique, culturel, et idéologique qui visait à réunir et à unifier les peuples arabes, non par rapport à l'Islam mais par rapport à une histoire commune). Même lorsqu'il tue des moineaux sous ses yeux, même lorsqu'il se ridiculise auprès de notables puissants et méprisants, même lorsqu'il refuse d'accompagner son rejeton pour son premier jour d'école (car "aucun parent ne le fait ici"), le petit Riad continue de le considérer, son universitaire de géniteur, comme un héros, tandis que nous lecteurs ne pouvons nous empêcher de le trouver à la fois touchant et naïf.

Les cousins psychopathes coursent toujours Riad en le traitant de "sale Juif !" (pire insulte alors dans cette région du monde - la guerre du Kippour est encore proche et l'antisémitisme enseigné dès le plus jeune âge, en guise de liant permanent).

La villa géante familiale est toujours en projet mais, sa construction sans cesse repoussée commence à faire douter le lecteur quant à sa réalisation un jour.

Dans des couleurs sobres (blanche et rose, blanche et bleue selon le pays, rouge éclair lorsque ça crie), comme si les nuances réelles des paysages et des visages s'étaient effacées sous le joug du temps, de la mémoire qui ploie, le dessinateur nous restitue avec sensibilité ses surprises, ses peurs, ses victoires d'enfant dans ce pays si lointain.

Pas de maîtresse affectueuse ici mais, une institutrice sadique et imperturbable (sauf au son de la pluie qui tombe) qui chante la gloire du régime à toute occasion, bien posée sur ses gros mollets, et qui ne connaît comme outil pédagogique que le bâton. Point de marmots caressant les bestioles dans les champs mais plutôt, des garnements qui attachent des grenouilles vivantes aux roues de leurs vélos, histoire d'étudier les différents éclatements possibles de batraciens. Car, le régime est sur le pied de guerre permanent, ses habitants formés à la dure : une dictature à maintenir; un ennemi honnis à détruire.

Le gamin Riad essaie de s'adapter, de comprendre; pour s'insérer, faire plaisir à son père.

L'adulte Sattouf ne juge pas, ne charge ni ne disculpe : sous son crayon, c'est juste l'humanité qu'il décrit. La même partout, juste portée et influencée par des codes différents, des conditions politiques qui échappent de toute façon au quidam lambda.

Est-ce cette double culture (savoureuses scènes de vacances en France, chez sa grand-mère maternelle, où la découverte d'un crabe en Bretagne ou d'un supermarché avec plein " de gens à l'air très satisfaits ", deviennent des aventures uniques...) qui lui donne ce recul, cette absence de certitudes ânonnées sur un ton définitif, cette attention à la moindre réaction des gens croisés ? Peut-être. Sans doute. En ces temps où certains réclament du sang pur, cette bd peut aussi se lire sous cet angle. Une richesse. Une sensibilité extrême.

C'est frais, touchant, bouleversant parfois (cette tante assassinée par sa famille car enceinte hors-mariage). Souvent très drôle et empli de portraits psychologiques parfaitement maîtrisés, en deux traits-une phrase (hilarante femme du général se vantant de parler anglais mais qui ne sait répéter qu'"Have this in France, you ?" en exhibant son or, sans doute mal acquis) et, toujours, profondément humain. Rien que pour cela, et parce que cette sensibilité-là devient - hélas, mille fois hélas ! - rare dans notre société crispée et agressive, "L'Arabe du Futur 2" est à la fois un plaisir et une leçon. En attendant, impatiemment, le tome suivant !

(- 'L'Arabe du Futur', Riad Sattouf, Allary édit., 2015)

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