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L'antisémitisme ou l'ignorance victorieuse


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L'antisémitisme est probablement le plus ancien phénomène de l'Histoire. La haine du peuple juif est aussi vieille que la naissance de ce peuple. Soit plusieurs millénaires.

La conclusion de ces siècles de peurs irrationnelles, tout le monde la connaît : la Shoah, la tentative d'extermination totale de ce peuple par les nazis, plaie et honte éternelles à la face de l’Humanité.

La vie indépendante (et donc les choix politiques, contestables bien entendu) de l'état d'Israël aujourd'hui (création en 1948), la confusion volontaire entre Juifs nationaux et choix de l'Etat hébreu puis les théories du complot servies à toutes les sauces servent dorénavant de nouveaux arguments aux antisémites contemporains. Leurs 'arguments', cependant, ne font que reprendre toujours et encore, sous de nouvelles formes, les antiennes de ceux qui les ont précédés. Mais, de ceci, en ont-ils seulement conscience ? Car, ne l'oublions pas, toute pensée délirante a sa logique et peut, une fois admise, permettre de développer des dialectiques jugées solides par les plus ignorants.

- La source du rejet ? La différence.

Historiquement (rien, par exemple, n'atteste de l'historicité de Moïse, de l'Exode, de la conquête de la Terre promise...), le peuple juif se saisit au départ dans le cadre du royaume salomien uni puis divisé en royaume d'Israël au Nord et Juda au Sud (avec comme capitale Jérusalem), entre le Xème et VIIème s. av. J.C. C'est à cette période seulement que se constitue un système de religion à dieu unique, protecteur de 'son peuple élu', non représentable, que l'on doit honorer en respectant une série de commandements très précis qui encadrent les domaines de la vie privée et sociale. Dès cet instant, nombre de sociétés antiques considèrent comme incompatible cette nouvelle religion avec les leurs, alors nationales, dynastiques, civiques et très peu mystiques. Cela aurait eu peu d'importance si des événements politiques, militaires (prise de Jérusalem en -586 av. J.C par le roi babylonien Nabuchodonosor, suivie de la déportation de nombreux Juifs en Mésopotamie) mais aussi économiques (leur territoire était exigu et peu fertile) ne les avaient pas obligés à l'exode. La forte cohésion sociale et religieuse des Juifs, leur sentiment d'appartenir à une communauté particulière, les a alors préservés d'une assimilation rapide aux sociétés étrangères au milieu desquelles ils vivaient désormais. Le point de départ du rejet antisémite est là : " ils sont différents " (modulable ensuite selon les périodes, les besoins politiques, les recherches de boucs émissaires), différence vécue par certains non comme une richesse mais comme un danger. Déjà, la 'solution' préconisée par certains : " qu'ils abandonnent leurs croyances et rites pour ne plus être rejetés. " Si on suit la logique : un appel aux Juifs à ne plus être... Juifs. Les deux grandes révoltes juives contre Rome (67-70 et 132-135) dispersèrent dans tout l'Empire les Juifs, en leur enlevant leur terre de référence. La naissance et l'essor du christianisme (émanation, en tant que secte, de la religion juive pourtant) posent de manière encore différente l'existence du peuple juif. Paul (Saül) fait de la nouvelle religion une religion de salut, universelle. Dès lors, comment à travers ce nouveau prisme comprendre et tolérer l'entêtement 'diabolique' des Juifs à ne pas se convertir ? Une attitude de méfiance et d'animosité réciproque qui se durcit lorsque la religion du Christ accède au rang de religion d'Etat à la fin du IVème s. Dans l'évangile selon saint Matthieu, après la crucifixion de Jésus, la foule des Juifs de crier : - " Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! " Depuis 2000 ans, ils paient ce cri...

- Briser la différence pour se sentir unis

Ce n'est pas avant l'an 1000 que l'antisémitisme européen prend vraiment les dimensions majeures qu'il va revêtir pendant un millénaire. Les Croisades marquent la prise de conscience de l'Europe par elle-même. La montée des sentiments et des actes antisémites se précise partout avec celle des États, des monarchies, des administrations, des appareils judiciaires : " qu'ils s'assimilent et se convertissent ou qu'ils partent ou périssent ! " pourrait-on résumer. St Louis (1214-1270) fait brûler le Talmud en place publique, impose aux Juifs le port d'une 'rouelle' jaune sur leurs vêtements (déjà). En 1306, Philippe le Bel expulse une partie de la communauté, autorisée à revenir moyennant finances. En 1394, Charles VI procède à l'expulsion définitive des Juifs du royaume. En Angleterre, l'édit d'expulsion date de 1290. La colère populaire, également : durant la Peste Noire (1346-1348) puis les suivantes, les Juifs sont accusés de propager volontairement la maladie (le bouc-émissaire, toujours). Rappelons aussi qu'au Moyen-Age, les lépreux sont considérés comme les descendants des Juifs... En 1492, l'Espagne les chasse à son tour. Ils vont s'installer en Afrique du Nord et dans l'Empire Ottoman, donnant naissance à la communauté sépharade (les Juifs d'Europe centrale appartenant à la communauté ashkénaze). Les plus importantes communautés juives d'Europe demeurent alors en Allemagne et en Pologne (voir les pogroms). Si le peuple catholique voit alors en eux 'des suppôts du Diable', les philosophes des Lumières du XVIIIème s. (Voltaire en tête), voient souvent en eux des fanatiques encroûtés dans des croyances absurdes. Avouons déjà que, en survolant ainsi les siècles, face à tant d'hostilité irrationnelle, l'envie de maintenir ses traditions (même, désormais, sans être croyant pratiquant), de rester soudés et de garder œil ouvert face aux débordements même verbaux est pour le moins compréhensible !

- Porter les maux. Même contradictoires.

La place manque, ici, pour développer convenablement l'histoire, hélas très dense, de l'antisémitisme européen. Les pogroms, Napoléon et les Juifs, l'antisémitisme 'traditionnel', l'antisémitisme d'Etat, la naissance des théories racistes (Gobineau), le mythe aryen, le socialisme naissant et l'antisémitisme (Proudhon), l'antisémitisme de Marx (Juif converti), l'évolution dans les différents pays européens, l'affaire Dreyfus (1894-1906), les droites réactionnaires, les extrêmes-droites racialistes, la Shoah (bien sûr), etc... Le sujet est énorme, impossible à condenser ! Disons tout de même un mot sur l'un des 'arguments' en vogue chez les antisémites contemporains : les Juifs et l'argent. Maintenant que le fait religieux est moindre dans nos sociétés (quoique... En ce moment...), les théoriciens de complots en tous genres se rabattent sur le 'pouvoir illimité' et supposé des Juifs. Savent-ils seulement qu'ils ne font que reprendre les élucubrations du protocole des Sages de Sion, un faux rédigé à Paris en 1901 par les services secrets russes, décrivant un plan de conquête du monde ? Savent-ils que la spécialisation dans les métiers bancaires d'un certain nombre de Juifs n'est que le résultat des interdictions professionnelles, au fil du temps, ayant frappé les Juifs (les fameux 'quotas de Juifs', en Russie par exemple, dans les métiers publiques, destinés à les maintenir dans un statut subalterne) ? Quant aux métiers artistiques, au vu de leur histoire souvent sanglante et douloureuse, il ne faut pas posséder un doctorat en psychologie pour comprendre cet attrait... Se rendent-ils comptent des 'arguments' contradictoires qu'ils enchaînent, héritiers d'une histoire du rejet ? Les Juifs-maçons, les Juifs-libéraux, les Juifs-Bolchéviques (avec l’avènement du nationalisme en Europe, où l’enracinement dans le terroir est hautement valorisé, le "Juif errant " devient le "cosmopolite", dépourvu de racines, donc d’amour pour la nation. Ce thème fort de la propagande antisémite sera souvent associé à celui du "bolchevisme"). À vrai dire, toutes les combinaisons sont possibles et les stéréotypes les plus contradictoires utilisables... Certains comparent même les souffrances de l'esclavage noir avec celles des Juifs et leur traitement médiatique pour mieux charger les seconds. Depuis la création de l'Etat d'Israël (1948), le sionisme (mot à plusieurs sens, selon qui l'utilise) et le conflit israélo-palestinien font resurgir l'éternel soupçon de non-assimilation chez les antisémites contemporains. Rien de nouveau, hélas, dans le fond de leur discours.

Cet article, oui, est bien incomplet. Mais il espère donner envie aux lecteurs éclairés (les autres, bon... La peur et les fantasmes sont tellement irrationnels) de se pencher plus profondément sur cette évolution de l'antisémitisme à travers les siècles. Car, une fois encore, la connaissance et l'Histoire ne peuvent qu'apporter les solutions et les arguments face aux imbéciles qui ne jouent que trop avec le feu. Et blessent inutilement une communauté fière, faisant partie d'un peuple bi-millénaire, qui fait également depuis longtemps partie du nôtre, apportant depuis des siècles sa riche culture à notre société plurielle.

- 'Egarements d'une cosmopolite', Esther Benbassa, François Bourin Editeur

- 'L'antisémitisme', Yves Chevalier, Cerf, 1988.

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