top of page

Facebook : les amitiés particulières

L'apparition, sur mon fil d'actualité, de plusieurs photos (prises en gros plans et sous plusieurs angles) d'un sac Luke Perry (très beau au demeurant, là n'est pas la question) m'a soudain, hier, fait prendre conscience à quel point les réseaux sociaux peuvent nous rendre grotesques et puérils. Je suis ravi de l'achat de mon 'ami' FB mais, sincèrement, je me tamponne de savoir quelle marque porte le sac qu'il utilisera désormais pour se rendre à sa salle de gym (que je connais également suite à la parution antérieure de clichés le montrant, tel Hercule en plein effort, transpirant sur des machines dernier cri).

Je modère mon ironie car, mea culpa, je ne suis pas le dernier à mitrailler puis poster l'image des plats que je m'apprête à avaler.

Filtre 'constraste'; non, 'doré' plutôt ! Ou alors 'néon' ? Je pourrais peut-être passer par Instagram, la gamme est plus large. J'hésite... Localisation. Où est le nom de cette satanée bicoque ? Ah, voilà ! Hop ! Publié !

Soulagé d'avoir ainsi prouvé publiquement que, moi aussi j'ai une vie sociale et un goût sûr, je peux relever la truffe pour m'intéresser à nouveau (enfin ?) à la personne qui me fait face. Elle a commencé sa dégustation, un sourcil toujours en lévitation. Un toast ? Attends, je vais immortaliser le moment !

Zoom, " arrête de bouger s'il te plait, plus à droite, le verre ! " Mon assiette, désormais, est tièdasse mais, peu importe, la photo est belle.

Si certains égotistes assumés, subjugués par leur propre reflet (à quand l'appli Photoshop sur les smart-phones ?), enchaînent les selfies pour mieux guetter les 'like' et se rassurer ainsi provisoirement, d'autres font la révolution à grands coups de clics. Pétitions, " Partager ! La Terre entière doit savoir ! " (impératifs), " Mais ne voyez-vous pas ce qui se passe ? Ne comprenez-vous pas ??? " (culpabilisants), articles engagés et billets enragés se succèdent, donnant une impression de vertige, d'hésitation face à la lourdeur de la tâche.

Sauver la planète est à portée de souris et, moi, neurasthénique au saut du lit, je me recouche...

Comment vivre, survivre, dorénavant, après tant de couardise et désintérêt ainsi révélés ? Certains mélangent les deux écoles, ce qui donne, comme message subliminal : " le monde est pourri, sauf moi qui suis beau ! "

Montre-moi ton FB, je te dirai qui tu es.

D'autres y sont mais ne postent ni ne réagissent jamais. Sont-ils là, n'y sont-ils pas ? Regardent-ils, voyeurs et passifs ou sont-ils si occupés, eux, bien au-dessus de tous ces enfantillages virtuels ? Mystère... Ce sont finalement les plus snobs de tous qui vous font à la fois vous demander pourquoi vous les gardez (ben, pour le quota amical affiché, très certainement !) et comment font-ils pour se contraindre à une telle retenue ? Ce sont les Greta Garbo du web (- " Leave me alone. ")

Les nouveaux parents sont touchants, bien entendu, avant que leur adulation pour leur fraîche progéniture ne devienne - c'est le risque - légèrement exaspérante pour les autres. Était-elle vraiment indispensable cette image de la bambine posée sur son mini-trône et ainsi légendée :

- " Ça y est !! " suivie de cinq smileys ?

Je pose la question : était-elle vraiment indispensable ? Poli, craignant de vexer les géniteurs triomphants, je l'avoue : j'ai 'liké'. J'ai hésité à commenter : " Enfin propre, cette cochonne ! " mais je me suis abstenu, abandonnant mes amis à leur extase du jour, laissant la place aux messages de félicitations des autres parents sincèrement émus. Il faut savoir s'effacer parfois.

Je me permets de rire des travers facebookiens car - moment de lucidité - je les cumule quasiment tous. Un peu d'auto-dérision vis à vis de ce réseau social devenu une véritable référence bien sûr mais, surtout, une réelle addiction quotidienne pour beaucoup ne peut pas être mauvais.

Découvrir des talents prometteurs tel le photographe Stéphane Paris , partager le travail envoûtant du peintre Erwann Tirilly, les découvertes hip-hop de la plateforme Soulville, les derniers concerts filmés du chanteur Lek Sen ou même les vidéos culinaires d'un jeune chef talentueux : autant de richesses intellectuelles nourrissantes, semblant surgies de nulle part, telles des cadeaux inattendus, des coups de cœur de coins de rue virtuelle; de réelles opportunités offertes qui nous font sentir à la fois utiles et précurseurs et encore culturellement curieux, dans nos vies terre-à-terre (allez ! On peut le dire ! On n'est pas sur Facebook !) Évidemment.

Même l'arrivée plus ou moins discrète des pubs déguisées (" X aime la compagnie les 'Taxis Urbains. " Ah bon ? Il ne bouge qu'en vélo, lui...), même la révélation du peu d'intimité des messages échangés en privé, même l'accoutumance et, donc, la lassitude inhérente - un jour ou l'autre (" C'est naze, je vais supprimer mon compte! Ouais mais, avec toutes mes photos, mes albums, mes... ") - ne suffisent pas à faire sérieusement baisser le nombre d'accrocs. L'éternelle balance avantages/désavantages, qui penche obstinément - pour l'instant - dans le même sens, malgré cette impression tout de même gênante de n'être qu'une goutte d'huile lubrifiant une grosse machinerie cotée en bourse qui doit son énorme succès surtout à la disparition de la communication directe entre nous. Si le but affiché au départ était de retrouver des amis de l'école primaire (en fait, si on les a perdus de vue... Par bonheur, ils ont pensé à tout : la touche 'restreint' fera l'affaire), je ne peux m'empêcher de sursauter parfois en réalisant que Untel ou Unetelle, amis de 20 ans, je ne les ai ni vus ni entendus depuis au moins une année écoulée !

On ne s'appelle pas (on n'y pense plus : mes amours-mes emmerdes, en vrai, je les gère seul, toujours seul) puisque, après tout, on en a des nouvelles : on échange des 'like', des mots d'esprits de 100 et quelques caractères, on voit les photos des familles qui s'agrandissent, le récit des nouveaux amours, les colères, les joies. Que se dirait-on de plus de visu ("Ben, non ! T'as pas vu que je suis passée en 'c'est compliqué' ? Essaie de suivre, tout de même !") ? On n'y pense même plus, chacun parti dans le tourbillon de sa vie, comme disait l'autre ! Sauf que...

Sauf que, comme dans les familles, chacun semble s'être attribué un profil, une identité, sur ce gentil réseau mondial et libéral.

Sauf que le 'jeu' n'est pas le 'Je'.

Le 'marrant', le 'famille ou couple idéal', le 'Bisounours', le 'provocateur', le 'révolté', le ceci, le cela...

Que valent les profils virtuels comparés à la complexité humaine ? N'a-t-on tout simplement plus envie ? De l'autre. Ne rêvons-nous plus que d'ersatz et de simplifications ? Ne sommes-nous plus que des moutons de Panurge modernes, " puisque, tout le monde en est là... ", " puisque tout le monde est là " ? Apparemment.

En attendant, moi, je tapote ce texte sur mon écran, moralisateur et rodinien, alors que ma délicieuse pizza refroidit ! C'est malin. Je vous laisse, j'ai une photographie arty à prendre : la Reina de la Cantina ! 'Localisation', 'publier'...

Demain, j'arrête. Demain... En attendant, mon week-end, je dois bien le montrer à mes 'amis' tout de même ! Allez, c'est les vacances : tant de photos à faire ! Pour 'partager', disent-ils.

Tous droits réservés Copyright

- (Peinture " Fiction " d'Erwann Tirilly, 2014) -

Featured Review
Tag Cloud
Pas encore de mots-clés.
bottom of page