Yvon le Men & la bête froide : le problème des intermittents posé par l'absurde
Le poète breton Yvon Le Men a choisi en toute conscience, voici plusieurs décennies, son rocailleux chemin de vie : la poésie sinon rien.
Certains visent les grandes écoles, d'autres la reprise de la boutique parentale; certains ne choisissent jamais vraiment, sautillant d'un job à l'autre (il faut bien faire quelque chose, n'est-ce pas ?)
Beaucoup effectuent leurs tâches sans envie ni répulsion; ils les font, voilà. Ils nommeront cela une 'carrière', lorsque les ans auront fini de les convaincre.
Depuis 1972, date à laquelle il lit pour la première fois ses textes en public (lors d'un concert de Gilles Servat ),à 19 ans, l'amour des mots, de leur danse évanescente et créatrice, de leur partage avec un auditoire gourmand et en demande de sens, de beau, Yvon Le Men n'a jamais trahi sa muse, n'a jamais cessé de chanter l'amour, de peindre l'âme humaine; de murmurer l'intime, de magnifier sa Bretagne adorée et ses paysages irréels.
Au fil des ans, malgré de prévisibles périodes de disette et de doutes, sa notoriété a dépassé les frontières du Trégor et de Lannion.
Il est, en France, l'un des rares poètes à vivre de son œuvre.
En 1998, il est nommé Chevalier dans l'Ordre des Arts et des Lettres.
En 2006, Chevalier dans l'Ordre National du Mérite.
Ses nombreux ouvrages, de " Vie " (1974) au " Jardin des Tempêtes " (en 2000; titre fort à propos en ce moment) en passant par ses livres pour enfants, ont été traduits, à travers le monde, en douze langues.
Tout va bien alors, pourrait-on croire ? Le pari gagné d'une vie dédiée à la passion ?
Trop simple ! Car, la société n'aime guère les passionnés, encore moins les Verlaine, surtout en cette période officielle de crise.
Malgré ce succès apparent, les droits d'auteur étant ce qu'ils sont (surtout dans le milieu confidentiel de la poésie), l'auteur n'a vécu qu'en enchaînant sans relâche les lectures publiques rémunérées. Pour ne pas, malgré ces nombreux spectacles d'interprétation, sombrer dans la pauvreté, il a obtenu, en 1986, le statut d'intermittent.
Yvon Le Men vient de dépasser les 60 ans. Sa plume continue de faire jongler les mots et les émotions; il poursuit ses spectacles et ses visites dans les écoles pour éveiller les sens des petits à la beauté du Verbe. Cela aurait pu continuer ainsi encore longtemps, si cette lettre du Pôle Emploi de Rennes n'était pas arrivée. La froide machine administrative, sans doute rendue plus zélée par la réforme en cours du statut d'intermittent, vient tout simplement, d'un coup de crayon brutal et injustifié, de lui retirer ce droit au complément pécunier.
Après 28 ans sans accroc, l'implacable machine exige le remboursement des 3 dernières années d'indemnisation, soit près de 30.000€, considérant soudain et sans raison crédible les lectures du poète comme des " conférences " et non des " spectacles " (le déclassant ainsi).
Mr Le Men cherche à obtenir rendez-vous et explications : la bête froide lui répond, élégante jusqu'au bout, d'aller se faire lan-lère.
Le poète, l'artiste en général, c'est bien connu, est un fainéant, un pique-assiette.
Alors que les politiques s'emmêlent, ces temps-ci , dans leurs pitoyables affaires de privilèges et d'abus, alors que la société s'enfonce dans la morosité et l'agressivité, les chanteurs d'espoir, eux, sont cloués au pilori, insultés à mots couverts. Lui ne réclame que de retrouver son statut, évident, d'acteur de spectacle.
" Vie " était le titre de son premier recueil. - " Vis ! ", ai-je envie de lui souffler, au poète, pour l'encourager.
- " Voyez ! ", ai-je envie de vous dire, afin de vous réveiller.
Sanctionner les abus est un impératif évident. Accepter le zèle administratif qui broie des vies est une honte.
- Yvon le Men, en réponse à cette injustice, vient de publier " En fin de droits " -
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